ERASERHEAD (1976) Écrit & Réalisé par
David LynchMusique de
David LynchAvec
John Nance, Charlotte Stewart, Allen Joseph, Jeanne Bates, Judith Anna RobertsÀ mi-chemin entre psychose et génie,
Eraserhead constitue une plongée unique dans l’imaginaire torturé d’un cinéaste alors à l’aube de sa carrière. Mais
David Lynch ne se contente pas de signer un film d’auteur brillant, il vient repousser les frontières du 7e Art pour emmener son spectateur loin, très loin, là où les mots se trouvent vidés de leur sens, où l’image prend le pas sur la parole, pour laisser son hôte confronté à lui-même et à des peurs indicibles. Plus qu’un OVNI cinématographique,
Eraserhead est une expérience à part entière de laquelle l’individu ne ressort pas indemne. Avec peu de moyens,
David Lynch retranscrit un univers cauchemardesque, empli de tant de symboles, de métaphores et de satires sous-jacentes que chacun pourra y voir ce qu’il veut – d’ailleurs,
Lynch lui-même n’aurait-il pas été dépassé par sa création ?
Dans son monde, les Femmes sont soudain prises de convulsions épileptiques ou hystériques. Les poulets cuits accomplissent, dans leurs assiettes, des mouvements sexuels tout en laissant s’écouler un liquide noirâtre de leurs orifices. La cervelle sert d’élément à la confection des gommes de crayon – d’où le titre du film («
Eraserhead » signifiant « Tête de Gomme ») ! Grouillant de partout, des vers inséminent les Femmes pour donner naissance à des bébés prématurés difformes, presque inhumains. Au centre de tout, mais esseulé, le protagoniste voit lentement ses visions d’horreur et du paradis envahir la réalité. Ce, tel un homme errant dans un univers qu’il ne comprend pas et qui ne le comprend pas, ne pouvant connaître l’illumination (atteindre le paradis) qu’après avoir cédé à ses pulsions meurtrières (commettre l’infanticide). Et ce sentiment d’irréalité et d’inquiétante étrangeté, qui accompagnait jusqu’ici le sujet, se transforme bientôt en une vérité bien plus poignante, cruelle et dérangeante.
Avec force,
David Lynch nous rappelle pourquoi, avant de devenir un moyen lucratif très convoité, le cinéma est un art et, par conséquent, le cinéaste un artiste. Mêlant un visuel sublime – trouvant le ton parfait entre lumière et obscurité, exploitant toute la beauté du Noir & Blanc – à des créations artistiques et juxtapositions d’images sidérantes, le réalisateur suscite presque autant d’émerveillement que de malaise dans l’esprit du spectateur. Pleines de sens cachés, les images nous envoûtent progressivement pour mieux s’adresser à notre inconscient, faisant d’
Eraserhead un voyage intérieur, ressenti autant comme un plaisir narcissique que comme un viol intellectuel. Soutenu par une musique expérimentale grinçante et des acteurs renversants (
John Nance est aussi effrayant que terrassant,
Judith Anna Roberts est craquante en chanteuse de music-hall paradisiaque), l’œuvre de
David Lynch distille une atmosphère pesante, oppressante, où les nerfs sont mis à rude épreuve. Avec
Eraserhead,
Lynch crée une passerelle entre notre psychisme et le sien sans qu’aucun mot ne fut échangé. Et si, au fil de ses métrages,
David Lynch réinventait le cinéma…? La postérité parlera. Pour l’heure,
Eraserhead se veut un chef-d’œuvre intemporel (et atemporel), nous laissant une sensation douce-amère en travers de la gorge, et dont toute la puissance ne se révèle qu’après-coup.
Note : 19/20