GAMER (Ultimate Game)

Le temps est venu pour ceux qui ont douté du talent de scénaristes et de metteurs en scène de Mark Neveldine et Brian Taylor de réviser leur jugement. Tandis que beaucoup attendaient Gamer au tournant — le percevant d’emblée comme une adaptation grand-guignolesque de jeu vidéo, comme un produit commercial uniquement destiné aux geeks et autres grands ados attardés —, Neveldine et Taylor prennent leur audience à revers et livrent un thriller d’action et de science-fiction à la fois réaliste, brutal et intelligent.

Loin du côté fun et déluré des volumes Crank, Gamer — alias Ultimate Game, retitrage à rallonge inutile, uniquement destiné à éviter la confusion avec le Gamer (2001) de Patrick Levy — introduit une vision aussi sensée qu’effrayante de l’avenir. Un avenir dans lequel Society, un jeu vidéo grandeur nature, propose à ses « joueurs » soit de contrôler d’autres personnes bien vivantes, soit d’être contrôlés par d’autres joueurs — grâce à des nanomachines implantées dans le cortex cérébral. Un avenir dans lequel les condamnés à mort et autres parias de la société sont contraints de participer à Slayers, un autre jeu mi-réel mi-virtuel, pour devenir des machines de guerre contrôlées à distance par des enfants de riches. Leur récompense ? Au bout de 30 victoires (soit 30 « survies »), le condamné à mort retrouve sa liberté, tant sur le plan social que psychique. Du moins officiellement.

Si la trame n’est pas sans évoquer le Running Man de Stephen King (et non pas le nanard kitch avec Schwarzenegger), Neveldine et Taylor livrent avant tout une satire virulente de la société actuelle. Une société voyeuriste, banalisant la pornographie et la violence, déshumanisant les êtres qui évoluent derrière son écran d’ordinateur (l’autre n’est plus qu’un personnage virtuel) ou de télévision (le parallèle avec le filtrage des informations concernant la guerre en Irak est, à ce titre, éloquent). Rien à voir, donc, avec l’adaptation live et idiote que l’on pouvait redouter. Pas de glorification du muscle, de la violence ou de la guerre, Neveldine et Taylor affranchissent leur scénario de tout cliché et de toute absurdité pour aboutir à un récit cohérent, prenant et brut de décoffrage.

Les détracteurs auront beau continuer à reprocher à Neveldine et Taylor une réalisation MTV, qui s’agite dans tous les sens pour — soi-disant — masquer une absence de style, la mise en scène nerveuse, saccadée et atypique des deux compères ne trouvent pas moins tout son sens dans Gamer. Refusant constamment de ne faire de Slayers qu’un simple jeu virtuel — et de Tullman, le « personnage » central de l’histoire, un pantin sans âme —, les deux réalisateurs s’abstiennent de toute présentation (jouissive mais déshumanisante) à la première ou troisième personne. Ici, les combats sont exposés du seul point de vue du protagoniste ; d’où l’utilisation de plans entrecoupés, tremblants et agités, renforçant l’aspect réaliste de la bataille — à un point tel, d’ailleurs, que le John Rambo de Sylvester Stallone semble désormais édulcoré —, soulignant le malaise ressenti par Tullman et le danger dans lequel il évolue (malgré lui). Résultat : Gamer s’impose comme une expérience sensitive à part entière, où chaque combat est vécu comme une agression personnelle, tant pour les yeux (séquences dynamiques effrénées) que pour les oreilles (détonations et musique agressive viennent vous vriller les tympans dès les premières images).

Outre le talent des deux scénaristes/réalisateurs, Gamer doit également sa réussite à la performance de ses interprètes principaux. De Gerard Butler, qui démontre une nouvelle fois quel grand acteur il est, à Michael C. Hall, parfait dans le rôle de Ken Castle, le créateur narcissique et machiavélique de Society et Slayers. En passant par Amber Valetta (touchante et sincère), Kyra Sedqwick (actrice aussi sensuelle qu’intrigante), Ludacris (loin des prestations miteuses habituelles des rappeurs au cinéma) ou encore Zoë Bell, la protégée (ici méconnaissable mais néanmoins convaincante) de Tarantino.

Alors que d’autres productions misent sur la 3D ou la surenchère gore pour tenter de se démarquer, Mark Neveldine et Brian Taylor participent petit à petit au franchissement d’une nouvelle étape dans l’histoire du 7e Art. Avec Gamer, les deux compères ont su amener le spectacle cinématographique à un niveau supérieur, où la vue et l’ouïe sont devenues d’importances égales, à défaut de ne pouvoir exploiter les autres facultés de l’audience — encore que l’odeur de cendres semble parfois nous remonter jusqu’aux narines.

La question est désormais de savoir si cette expérience sensitive survivra au marché de la vidéo ou si elle périra lors de la dernière projection en salle du métrage... Au vu du transfert en Blu-Ray des premiers Crank, nous pouvons rester optimistes. En attendant, ruez-vous dans la salle la plus proche et préparez-vous à vivre une expérience cinématographique qui vous restera éternellement imprégnée sur la rétine et gravée en mémoire.